L’I.A. expliquée aux humains

Jean-Gabriel Ganascia, L’I.A. expliquée aux humains, Paris, Seuil, sept. 2024, 165 p., 13,50 €.

Couverture du livre de Jean-Gabriel Ganascia : L’I.A. expliquée aux humains.

Jean-Gabriel Ganascia, chercheur en intelligence artificielle et épistémologue, propose ici un ouvrage de vulgarisation scientifique accessible et structuré sous forme d’un dialogue vivant entre l’auteur et quatre collégiens. Cette approche didactique permet à la fois une clarification progressive des concepts et une reformulation constante des enjeux, rendant la lecture particulièrement fluide.

L’ouvrage suit un parcours méthodique, partant des fondements historiques et conceptuels de l’IA jusqu’à ses applications et aux questionnements éthiques et philosophiques qu’elle soulève aujourd’hui.

L’auteur commence par clarifier les notions : automates, robots, bots et agents autonomes. Il distinguera plus loin et avec précision l’intelligence artificielle faible, spécialisée dans des tâches précises (reconnaissance d’images, jeu d’échecs…), l’intelligence artificielle forte, qui viserait une compréhension plus générale du monde, et l’intelligence artificielle générale, encore hypothétique, qui pourrait rivaliser avec l’intelligence humaine dans toutes ses dimensions. L’auteur met en garde contre les anthropomorphismes qui faussent la compréhension du potentiel et des limites réelles de l’IA. Il relève précisément les mésusages sémantique, « autonome » pour automatique, par exemple.

L’ouvrage dresse ensuite un panorama des domaines où l’IA est déjà une réalité : santé, exploration spatiale, agriculture et écologie, militaire et surveillance… Ganascia ne tombe pas dans une célébration naïve du progrès technique. Il met en lumière les usages bénéfiques mais aussi les dérives potentielles, notamment dans le domaine du profilage et de la surveillance de masse. Le chapitre 2 se termine par une conclusion quelque peu décevante : « Tout se passe ici comme avec les couteaux. » (p. 72), suggérant que l’IA n’est qu’un outil neutre dont l’usage dépend de l’homme. Cette analogie simpliste sous-estime les questions de l’ambivalence de la Technique (cf. Jacques Ellul, Le Bluff technologique) et de son ambiguïté même (cf. Jacques Neirynck, Le huitième jour de la création).

Après ce panorama des usages, l’auteur s’attache à expliquer concrètement comment ces IA fonctionnent, en mettant en lumière les différentes formes d’apprentissage et d’optimisation algorithmique : supervisé, non supervisé, par renforcement…, ainsi que les structures utilisées : réseaux antagonistes génératifs (GANs), grands modèles de langage…

Ganascia nuance les fantasmes d’une IA qui surpasserait l’homme. Il insiste sur le fait que les IAs « ne nous dépassent pas non plus ; elles nous épaulent et nous permettent, si nous en avons le talent, d’outrepasser nos propres capacités » (p. 116).

L’auteur discute de la notion récente d’IA digne de confiance, qui repose sur trois principes : l’exactitude : l’IA doit produire des résultats fiables ; la robustesse : elle doit fonctionner de manière stable dans divers contextes ; la transparence : ses décisions doivent être compréhensibles et justifiables.

L’auteur explore enfin les grands débats philosophiques de la conscience des machines et du risque existentiel avec les questions les plus spéculatives : l’IA pourrait-elle devenir consciente ? Quels risques posent des IA autonomes dans des systèmes critiques ? L’humanité pourrait-elle perdre le contrôle de ses propres créations ? Ganascia reste sceptique quant aux scénarios catastrophistes, mais il aurait pu davantage creuser les dilemmes éthiques posés par l’automatisation croissante des décisions.

L’ouvrage de Jean-Gabriel Ganascia est une réussite pédagogique, portée par une clarté remarquable et une connaissance fine de l’histoire de l’IA. Son approche sous forme de dialogue permet une grande accessibilité, notamment pour un public non spécialiste. Cependant, malgré sa richesse, l’ouvrage reste parfois trop lisse sur le plan éthique. En insistant sur la neutralité de l’IA et en comparant son usage à celui d’un couteau, l’auteur néglige les implications structurelles et politiques du numérique, qui façonnent nos comportements bien au-delà de la simple autonomie de l’utilisateur. Malgré de belles nuances, l’ouvrage tombe parfois dans l’anthropomorphisme dommageable, notamment lorsqu’il évoque « les facultés de discernement des personnes [qui] se révèlent inférieures à celles des machines ». (p. 156) Or, l’IA n’a pas de « discernement » au sens humain du terme, mais optimise des calculs statistiques. Ce livre, s’il permet de comprendre les rouages techniques de l’IA – ce qui est précieux et nécessaire -, devrait être complété d’une réflexion plus approfondie sur les implications philosophiques et sociétales. Une approche plus critique, tenant compte des avertissements éthiques formulés par des penseurs comme Ellul, permettrait d’éviter une vision parfois trop neutre. Dans cette perspective, le regard de la doctrine sociale de l’Église sur la responsabilité humaine face au progrès technique (Laudato Si’, Antiqua et Nova) pourrait enrichir encore le débat.

Ouvrage : https://www.seuil.com/ouvrage/l-i-a-expliquee-aux-humains-jean-gabriel-ganascia/9782021550467

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