Jean Paul II, Lettre encyclique Laborem Exercens : Sur le travail humain, Paris, Le Centurion, 1981, 105 pages.
Jean-Paul II, pontife influent et théologien moraliste reconnu, est l’une des grandes figures du XXe siècle dans la réflexion sur la dignité humaine et la justice sociale. Laborem Exercens, l’une de ses trois grandes encycliques sociales – avec Sollicitudo Rei Socialis (1987) et Centesimus Annus (1991) -, s’inscrit dans cette veine humaniste et chrétienne. Elle est un texte clé de la doctrine sociale de l’Église catholique, qui traite des enjeux spirituels et sociaux du travail humain à l’aube des grandes mutations économiques et technologiques du XXe siècle.
Ce texte, écrit pour commémorer le 90ᵉ anniversaire de l’encyclique Rerum Novarum (Léon XIII, 1891), explore les tensions et promesses du travail dans un monde confronté à l’automatisation croissante et à des inégalités sociales marquées. Jean-Paul II y rappelle que le travail, loin d’être une simple nécessité économique, est une dimension fondamentale de la vocation humaine, un chemin vers la sanctification et une clé pour la justice sociale.
Le pape ouvre son encyclique par une réflexion anthropologique profondément enracinée dans la théologie chrétienne. Il affirme que le travail n’est pas seulement une activité économique ou matérielle : il est une participation à l’œuvre créatrice de Dieu. L’homme, en tant qu’image de Dieu, est appelé à « soumettre la terre » (Gn 1,28), non dans une logique d’exploitation, mais dans une dynamique de soin, de responsabilité et de créativité.
Le Pape introduit une distinction essentielle entre deux dimensions du travail. D’une part, le travail objectif : il concerne les techniques, outils et moyens de production. D’autre part, le travail subjectif : il place l’homme, en tant que sujet libre et créatif, au centre de toute activité productive. L’enjeu central de l’encyclique est donc de rappeler que l’homme doit rester maître du travail et que toute forme d’organisation économique doit servir à préserver la dignité du travailleur.
La seconde partie de Laborem Exercens s’intéresse aux tensions sociales et économiques entourant le travail. Jean-Paul II critique à la fois le capitalisme et le collectivisme, qu’il accuse de réduire l’homme à un simple instrument. D’un côté, le capitalisme primitif subordonne l’homme au profit. De l’autre côté, le collectivisme marxiste dissout l’homme dans une vision abstraite de la classe sociale. L’encyclique appelle à dépasser cette opposition en affirmant la primauté de l’homme sur le capital : « Le travail est pour l’homme, et non l’homme pour le travail. » (cf. no 6) Ce principe fonde une réflexion sur les droits des travailleurs (salaire juste, conditions dignes, droit d’association…) et sur la justice sociale, qui doit garantir un accès équitable aux ressources et aux moyens de production.
Jean-Paul II insiste également sur le rôle des institutions publiques et des organisations internationales (notamment l’OIT) pour promouvoir des politiques du travail respectueuses de la dignité humaine et réduire les inégalités entre le Nord et le Sud.
La dernière partie de l’encyclique explore la dimension spirituelle du travail. Le pape polonais rappelle que le travail, bien qu’il soit marqué par la peine et les limites dues au péché originel, reste une voie privilégiée de sanctification. En union avec le Christ, qui a sanctifié le travail humain par son métier de charpentier à Nazareth, tout chrétien peut offrir son activité comme un acte d’amour, transformant ainsi une obligation quotidienne en une participation à l’œuvre rédemptrice de Dieu.
Cette spiritualité du travail s’étend à toutes les professions, qu’elles soient manuelles ou intellectuelles. Elle s’oppose à une vision utilitariste ou matérialiste du travail, en rappelant que l’homme ne se définit pas seulement par ce qu’il produit, mais par ce qu’il est : un être créé à l’image de Dieu, destiné à une communion avec lui.
Laborem Exercens est un texte toujours actuel dans un monde en mutation. Il se distingue par sa capacité à anticiper certains défis contemporains. Le Pape souligne que les machines, bien qu’utiles, ne doivent pas réduire l’homme à une simple fonction productive ; cette réflexion trouve une résonance particulière aujourd’hui avec l’intelligence artificielle et la robotisation. Jean-Paul II attire l’attention sur les inégalités entre les pays riches et les pays en développement, soulignant la nécessité d’une solidarité mondiale pour un progrès véritablement humain. L’encyclique aborde les questions du chômage et de la précarité, rappelant que le droit à un emploi digne est une condition essentielle pour garantir la justice sociale.
Cette encyclique présente une vision équilibrée entre justice sociale et spiritualité, fondée sur une anthropologie solide. Elle propose une réflexion universelle, qui dépasse les systèmes politiques et économiques pour mettre l’accent sur la dignité de la personne humaine. Elle reste d’une actualité frappante, notamment dans le contexte des mutations technologiques et économiques contemporaines. Mais, par nature, le texte reste souvent général dans ses propositions pratiques. De plus et toujours par nature, le langage théologique de cette encyclique peut paraître peu accessible pour des publics non croyants ou non familiers de la doctrine catholique.
Laborem Exercens est un texte majeur pour comprendre la vision chrétienne du travail comme un chemin de sanctification et un levier de justice sociale. Il invite chaque lecteur, croyant ou non, à repenser le sens du travail dans sa vie quotidienne et dans la société. Il pose des principes universels pour orienter les débats actuels sur le travail, l’économie et la technologie. Jean-Paul II nous rappelle que, face aux mutations du monde, la dignité de l’homme doit toujours rester au centre de nos préoccupations.
En ligne sur : https://www.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_14091981_laborem-exercens.html
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