Vincent COQUAZ & Ismaël HALISSAT, La nouvelle Guerre des étoiles, Paris, éd. Kero, avril 2020, 202 pages, 17,00€.
Les auteurs sont journalistes chez Libération : Vincent Coquaz à la rubrique CheckNews, Ismaël Halissat au service police/justice. Vincent Coquaz est en outre formateur en école de journalisme, et a travaillé pour Arrêt sur Images.
La nouvelle Guerre des étoiles est une enquête journalistique qui relève des études sur les technologies et les dynamiques sociales. Cet ouvrage étudie la notation à 360° galopante au sein de nos sociétés et cherche à comprendre le tournant techno-libéral qui est à l’œuvre, ses raisons et ses conséquences présentes et à venir. En effet, depuis 2003 et l’invention du Net Promoter Score (NPS) par Fred Reichheld, des formes d’évaluations simplistes et réductrices se répandent dans les entreprises, l’administration, la société même. Les auteurs cherchent à nous faire comprendre l’inanité, voire le danger, de ces systèmes de notation et la nécessité de les réguler sans plus attendre.
La relation de cette enquête s’ouvre par un prologue qui explique comment l’expérience d’un livreur à noter a conduit nos journalistes à deux années d’enquête dans le monde « merveilleux » de l’évaluation de la satisfaction du client.
L’exposé du travail journalistique se déploie ensuite en dix chapitres. Le premier, « L’épouvantail chinois » nous présente le système de Crédit social mis à l’essai dans une quarantaine d’agglomération chinoise. Il n’est pas l’abomination orwellienne que l’on nous a présenté – ce regard approfondi et nuancé descend l’Occident de son piédestal éthique immérité. Le deuxième chapitre, « Depuis 1540, noter pour classer » nous explique l’histoire de la notation de son invention dans les Collèges jésuites à nos jours où les écoles primaires y renoncent alors qu’Amazon, TripAdvisor & co l’instituaient dans leurs secteurs. Le troisième chapitre, « Les autres étoiles de la restauration » se penche sur les effets et les méfaits de la notation – devenu incontournable – des restaurants et de leurs clients ! Le chapitre suivant, « Dans la fabrique à fausse note », explore les dérives et façons de tricher qu’engendre nécessairement tout système où la note n’est plus un moyen mais une finalité… Le chapitre 5 « Le travail à coups d’étoiles » étudie l’invasion de ses notations par le client dans le monde professionnel chez Uber, Citroën… et comment ce nouveau système de management devient incontournable. Ceci à cause du Net Promotter Score qui fait l’objet du chapitre 6 « NPS, le règne du « Bullshit » » où est étudié en détail cette imposture scientifique et sa généralisation. Celle-ci tendant à une intention ubiquitaire avec de grands cabinets de conseil qui ont mis en place le « 360 degrés de notes » (chapitre 7) où tous peuvent être notés par chacun à tout instant selon quelques indicateurs synthétiques. Le chapitre 8 « Du privé au public » étudie la transposition du privé au public de ses systèmes d’évaluation dans le cadre du nouveau management public (NMP), ses prérequis philosophiques et ses conséquences humaines. Les auteurs nous indiquent rapidement que le monde de l’enseignement résiste (p. 145-146) avant d’analyser la question de la notation des structures et des professionnelles dans le chapitre 9 « Le chantier de la santé ». Quoique ces systèmes aient pour intention originelle de créer de la confiance entre des inconnus, on y discerne sans peine biais et limites… Le dernier chapitre « Souriez, vous êtes (secrètement) notés », nous explique comment des entreprises font commerce de toute sorte de notations (bancaire, de santé…) à partir de nos indénombrables traces numériques. Elles produisent des indicateurs synthétiques dont l’existence même peut être questionnées, ainsi que les méthodologies, les biais qu’ils emportent… Et pourtant ils existent officiellement quoique nous n’en ayons guère conscience. L’histoire de l’arroseur arrosé ?
La note est donc partout. Il semble impossible de revenir en arrière, à moins – peut être – d’un « sabotage » (titre de l’épilogue) qu’Alain Damasio appelle de ses vœux. Une idée suggestive mais bien naïve me semble-t-il si l’on veut bien tenir compte de la nature de la Technique (cf. Ellul).
Les évaluations concernaient donc au début les produits et services ; elles prétendent aujourd’hui évaluer également les personnes. La nouvelle Guerre des étoiles démontre de façon convaincante l’absurdité de ces notes – et de la notation donc – qui se répande pour « évaluer » les biens, les services, les sociétés et les personnes sous prétexte de satisfaction client et de progression continue.
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